Vous trouverez ci-dessous ma dernière interview avec Zone Bourse réalisée par Roxane Nojac. Au menu : tour d’horizon des perspectives macroéconomiques des Etats-Unis, de l’Europe et de la Chine.
En termes macro-économiques, l’économie américaine a été assez résiliente au premier semestre, avec une croissance de 2% au T1, et des premiers indicateurs qui suggèrent qu’elle se situera également aux alentours des 2% au T2. La bonne surprise est surtout venue du marché immobilier résidentiel, car les prix de l’immobilier ont tenu malgré la hausse des taux d’intérêt. La consommation des ménages a aussi été relativement résiliente.
La vraie question porte sur la deuxième partie de l’année. C’est toujours difficile à dire avec précision, mais la plupart des indicateurs avancés suggèrent qu’une récession pourrait intervenir au deuxième semestre et probablement au 4ème trimestre.
La consommation des ménages va se tasser, pour trois raisons :
Le phénomène qui s’applique aux ménages s’applique ensuite aussi aux entreprises. On assiste à un durcissement des conditions de crédit généralisé pour les entreprises, qu’elles soient petites, moyennes ou grandes. Ce durcissement, combiné à la hausse des taux, va impacter l’investissement. Aujourd’hui, les banques sont plutôt conservatrices. Dans les earnings du T2 des banques, on devrait observer une augmentation des provisions de crédit.
En juin, l’inflation a atteint 3% sur le CPI (indice des prix à la consommation) en rythme annuel conformément à mes anticipations. La vraie question réside sur les six prochains mois et au-delà. De nombreux facteurs poussent pour une désinflation :
Tous ces éléments suggèrent qu’on est sur un mouvement de désinflation en rythme annuel. Nous devrions donc casser le seuil des 3 % en rythme annuel à la baisse au T4 selon moi, mais pas avant parce qu’il y a des effets de base positifs au T3. Je vise un retour vers les 2 % d’inflation aux alentours du T2 2024.
Pour le mois de juillet, je penche pour une nouvelle hausse de taux, en dépit du scénario décrit. Il y a trois trois facteurs qui peuvent pousser à remonter les taux :
Je ne suis pas convaincu qu’ils aient la capacité de faire deux hausses de taux d’ici la fin de l’année, comme ils l’ont annoncé, car les signaux de désinflation vont commencer à se matérialiser.
Aujourd’hui, on est sur une récession technique, avec un ratio T4-T1 négatif (*Note complémentaire : le chiffre du T1 a finalisé été révisé à 0%), et il va être difficile d’en sortir durablement. En effet, les derniers indicateurs, notamment le PMI composite, montrent qu’on était sous le seuil de 50 en juin. Le momentum est donc plutôt négatif, en dépit de la résilience de certains secteurs notamment l’hospitalité (tourisme, restauration) qui affiche des chiffres assez solides. En revanche, le secteur manufacturier reste sous pression.
Je pense que les conditions monétaires sont globalement déjà assez restrictives et on s’attend à un nouveau relèvement de taux. La BCE a continué d’enlever la liquidité. Or, la croissance des prêts au T3 pourrait déjà être négative. Sur le housing, c’est déjà négatif (si l’on prend la variation à 6 mois annualisée), et ça pourrait s’étendre à d’autres composantes du crédit.
Aux Etats-Unis, la croissance du crédit en rythme annuel sera négative au T3, voire même au T2. En Europe, nous devrions suivre la même tendance : on assiste déjà à un phénomène de deposit outflow (fuite des dépôts), même s’il est moins important qu’aux US. Dans ce contexte là, il est difficile pour les banques de prêter. En France, elles ont déjà commencé à serrer la vis pour les sociétés sur les lignes de crédit, sur l’immobilier en général, et demandent des apports beaucoup plus significatifs. C’est donc un peu le même schéma que les US, mais avec un léger décalage et surtout avec un momentum de croissance plus faible. Le risque de rester dans une zone de croissance nulle, voire légèrement négative, est réel.
Le continent fait face à plusieurs difficultés : les risques géopolitiques, énergétiques (même s’ils sont moindres que l’année passée), politiques et sociaux. Et surtout, la situation devrait se compliquer en 2024 car les pays européens, qui avaient bénéficié de dérogations jusqu’à fin 2023, sont censés revenir (au moins progressivement en 2024) dans la limite des critères de Maastricht, levés jusqu’à la fin de l’année. Fiscalement, le soutien des gouvernements donc va se tarir.
L’inflation va continuer de ralentir, essentiellement parce que la composante énergie se contracte. La composante core sera peut–être un peu résiliente cet été, poussée par les effets de base positifs liés aux mesures de soutien des Etats, notamment de l’Allemagne sur les transports.
On devrait assister à une normalisation à partir de septembre, mais à un rythme probablement plus lent qu’aux Etats-Unis. En effet, les pays européens annulent petit à petit les mesures de soutien et de réduction d’inflation mises en place, ce qui devrait ralentir la désinflation. Je pense que l’objectif de la BCE est que les taux d’intérêt dépassent le niveau d’inflation en septembre.
Je penche pour une hausse des taux en juillet et potentiellement une en septembre. Mais en cas de choc économique négatif, si les chiffres se détériorent vraiment dans la consommation et l’investissement, ils reverront peut-être la hausse de septembre. Il faudra surveiller les chiffres relatifs au crédit, qui, extrapolés, donnent une trajectoire négative sur le PIB. L’évolution de la situation économique dépendra vraiment de la situation géopolitique, fragile. Mais le consensus sur l’Europe est tout de même assez optimiste (*Note complémentaire : PIB 2024).
En ce qui concerne l’épargne, les européens sont beaucoup plus conservateurs sur l’épargne : selon les zones, il y a encore entre 3 et 5% de PIB d’épargne excédentaire, même si l’excès commence à diminuer. Le problème c’est que cette épargne va être rapidement rongée par l’inflation, dans un environnement incertain qui ne pousse pas non plus à la dépense.
La croissance chinoise a rebondi légèrement mais les derniers chiffres du mois de juin sont plutôt décevants. Même sur les données à haute fréquence (vente automobile, vente de maisons), on a assisté à une inflexion début juin. Plusieurs paramètres pèsent sur l’économie :
L’Etat continue de soutenir l’économie, notamment dans l’immobilier et via le easing monétaire récent. Il essaye de calibrer les mesures à adopter sur le plan monétaire et fiscal, mais il se heurte à une problématique : s’il est trop agressif sur le plan monétaire, le yuan va se dévaluer.
L’inflation est à zéro en juin, à cause de cette problématique de consommation persistante. Elle peut rebondir sur la deuxième partie de l’année, mais devrait difficilement excéder les 2 % de manière durable. Elle devrait ensuite accélérer en 2024.
La Banque centrale populaire de Chine devrait vraisemblablement d’abord agir sur la liquidité, via des baisses du taux de réserves obligatoires pour les banques, ou via plus d’injections, ou via des légères baisses de taux sur certains programmes (comme les mortgages). On peut aussi s’attendre à une augmentation des quotas de relending qu’elle donne aux banques. Je ne pense pas qu’elle modifiera le taux directeur, sauf en cas de grave ralentissement de l’économie.
Je surveillerais surtout les résultats des entreprises et les guidances des banques, que ce soit sur le volume de crédit ou les provisions de crédit notamment. Ensuite, je reste attentif à l’issue de la réunion de la FED de juillet, et au discours prôné, qui devrait être les prémices du discours de Jerome Powell à Jackson Hole en août.